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[Traduction] La passion pour la liberté – Interview avec Jean Weir

samedi, mars 18th, 2017

La présente interview a été initialement publiée dans le N°8 de la revue anarchiste britannique 325 dont la version PDF est disponible ici : https://325.nostate.net/library/8-325_net1.pdf

Jean Weir y revient sur la répression qui l’a frappée, elle et ses complices, ainsi qu’un grand nombre d’anarchistes italiens suite à un braquage de banque à Rovereto en 1994. Elle y parle du procès qui en a suivi, avec notamment l’émergence de l’affaire Marini, puis de son séjour en prison.
Elle aborde ensuite la lutte à laquelle elle a participé aux côtés des locaux et de ses compagnonnes et compagnons dans les années 80 à Comiso contre une base de missiles.
L’interview se termine sur son projet de traduction et d’édition de textes, Elephant Editions, et les raisons qui l’ont poussée à se lancer dans la traduction des textes anarchistes italiens de l’époque.

Ces raisons, nous les partageons en grande partie, c’est pourquoi nous avons nous-mêmes décidé de traduire cette interview ainsi qu’un certain nombre d’autres textes qui suivront. Nous pensons que la diffusion des idées – et des pratiques – anarchistes doit suivre la perspective anationaliste qui est la nôtre, c’est pourquoi nous nous efforçons de retrouver et de traduire ces textes oubliés ou inconnus des anarchistes francophones. Bien sûr, nous ne sommes pas des spécialistes et nous n’avons pas la prétention de la perfection. La traduction peut donc être parfois bancale malgré le soin que nous y apportons. Nous laissons librement ce texte à disposition pour qu’il soit diffusé, modifié, amélioré. Nous espérons qu’il suscitera de la réflexion et du débat parmi celles et ceux que le monde actuel débecte.

Bonne lecture !

 

325 : Comment t’es-tu retrouvée arrêtée le 19 Septembre 1994, avec quatre autres anarchistes (Antonio Budini, Christos Stratigopulos, Eva Tziutzia et Carlo Tesseri), et accusée de vol à main armée à la banque de Rovereto (Serravalle) en Italie ? Quelle a été l’évolution de ta vie pour que tu sois amenée à vivre cette situation ?

Jean Weir : Comment je me suis retrouvée arrêtée ce jour de Septembre 1994 ? Eh bien, ce n’était de toute évidence pas le « crime parfait »… Des locaux avaient vu des gens sauter par-dessus une clôture dans la forêt de la montagne Chizzola ; une énorme chasse à l’homme s’en est suivie, et en quelques heures, tout le monde était rameuté. Mais je ne pense pas que c’est ce que tu voulais dire. Tu me demandes comment ma vie a évolué pour aboutir à ce moment. Je vais tenter de répondre à cette question, qui semble impliquer qu’il s’agissait là d’une sorte d’apogée vers laquelle ma vie tendait. En fait, il n’en a pas été ainsi. Si les choses s’étaient passées différemment et que nous n’avions pas été attrapés, personne n’aurait eu connaissance de cet événement. Ça aurait simplement été une journée dans la vie de quelques compagnons et compagnonnes anarchistes.

Je ne pense pas qu’il y ait quoi ce que soit d’exceptionnel dans le fait que des anarchistes décident de reprendre un peu de ce qui nous a été volé à toutes et tous – nous devons faire face au problème de la survie comme les autres dépossédés, et en outre nous ne voulons pas nous contenter de survivre, mais nous voulons aller au-delà des limites imposées par la pauvreté et agir sur le réel. Certains camarades croient que l’expropriation sera un événement de masse où tous les exploités agiront ensemble durant un « Grand soir », d’autres ne sont pas disposés à attendre à l’infini que cela se produise, ni à passer toute leur vie exploités ou à participer à l’exploitation des autres.

Quand j’y repense, s’il y avait quelque chose d’exceptionnel, c’était le fait d’avoir des compagnonnes et des compagnons avec qui il était possible de discuter de n’importe quel sujet, et partant de là, d’agir potentiellement ensemble. Je dis exceptionnel, même si à cette époque c’était normal. Cette connaissance mutuelle (et de soi-même) approfondie résulte du fait d’être dans une lutte commune – manifestations, réunions, discussions, actions, etc. – au sein d’un mouvement anarchiste informel. Les relations entre camarades s’approfondissent, chacun acquiert une réelle connaissance de l’autre, pas seulement nos buts mais notre manière d’être en tant qu’individus, notre manière de réagir, nos forces et nos faiblesses. À partir de là je pense qu’il est naturel pour des compagnonnes et des compagnons qui se connaissent et se font mutuellement confiance d’explorer certaines questions plus en profondeur et de décider d’expérimenter afin de poursuivre leur lutte et s’ouvrir à de nouvelles possibilités, quelque soit le domaine. Pour les anarchistes, l’absence de hiérarchie s’applique aussi à l’action. Chaque type d’action menée dans une dimension projectuelle avec une réelle tension vers la liberté a la même légitimité que tous les autres. (suite…)